Alsace digitale, une des principales associations de promotion du digital en Alsace, a publié récemment un livre blanc sur le “retard” de Strasbourg dans l’émergence des startups et leur développement local. S’en sont suivis plusieurs jours de discussions entre acteurs de l’écosystème numérique alsaciens en particulier sur la question du lieu Totem strasbourgeois. Mais doit-on réduire le numérique d’une métropole à ses startups ? Il est nécessaire d’inclure tous les acteurs de l’écosystème numérique dans la réflexion, y compris dans la dimension géographique.
Le travail réalisé sur le Livre blanc est exemplaire dans sa méthodologie : analyse de l’existant, définition d’indicateurs, problématisation et propositions de solutions pour chacun des indicateurs. Il part du principe que « la transition numérique à l’oeuvre redessine les centres de richesse mondiaux. Le numérique a pour conséquence la concentration des richesses et des emplois dans des hubs mondiaux au détriment d’autres points. » Le rapport en tire des conséquences sur la nécessité pour Strasbourg de disposer d’un « écosystème Startup » et la capacité de la ville et ses acteurs à mettre en oeuvre un plan d’action pour faire partie des « startup cities » à l’horizon 2020.
Si le cas de Strasbourg est au coeur de cet article, cette problématique concerne nombre de métropoles françaises, à quelques ajustements près : toutes font logiquement du numérique un axe de développement (logique car la transition numérique touche tous les acteurs socio-économiques) et la plupart focalisent leur attention sur les startups.
© amopix pour l’Eurométropole de Strasbourg
Le rapport propose cinq pistes de réflexion pour faire de Strasbourg une Startup City en 2020. Parmi ces propositions, une suscite beaucoup de réactions. En effet, le débat s'est cristallisé autour de la question de lieu totem : le besoin de lieu totem pour fédérer les dynamiques numériques locales et favoriser les échanges entre acteurs.
Ce débat a émergé dans la plupart des métropoles françaises lors des premiers appels à projets French Tech en 2014, qui faisait du lieu totem une condition de la labellisation. A Strasbourg, l’Eurométropole a notamment axé sa stratégie de développement économique sur les industries créatives et a logiquement promu comme lieu totem pour son dossier French Tech le Shadok, fabrique du numérique, qui est un lieu dédié à l'expérimentation, à la création et aux cultures numériques depuis 2012.
Si le débat sur le lieu totem réémerge à Strasbourg, c’est pour trois raisons :
Ce secteur HealthTech strasbourgeois connaît une très bonne dynamique avec des acteurs de réputation mondiale et des startups en développement ; s’il ne dispose pas de lieu totem, il s’est géographiquement regroupé en 2 pôles, autour de Biovalley sur le Parc d’Innovation d’Illkrich-Graffenstaden (sud de l’Eurométropole) et autour du site de l’Hôpital civil des Hôpitaux universitaires de Strasbourg, pour la proximité avec la clientèle de médecins et la présence de l’IRCAD, acteur clé du secteur Health Tech.
En parallèle de ces centres de gravité sectoriels, l’action de certains acteurs comme Alsace Digitale a “marqué” certains lieux du fait de la multiplication des événements numériques (presqu’île Malraux par exemple), mais ceux-ci relevaient plus souvent de l’acculturation du public au numérique. Les événements “business digitaux” se localisent plutôt en fonction des opportunités et des disponibilités d’espaces : espaces de co-working, centres de formation, écoles d’ingénieurs, université, pépinières d’entreprises.
Cette polarisation multiple de l’écosystème numérique strasbourgeois a l’avantage de favoriser la “friction” entre acteurs du numérique et acteurs d’autres secteurs économiques, source d’innovations technologiques et de modèles économiques nouveaux.
Toutefois, pour les acteurs digitaux en dehors de ces thématiques, cette dispersion entraîne un manque de lisibilité des acteurs dès lors qu’on n’appartient pas déjà à l’un ou l’autre réseaux informels existants. Elle complique également les échanges informels entre acteurs numériques de réseaux différents ou sans réseau.
Ainsi, du lieu totem de la French Tech, je pense qu’il faut passer au lieu “phare” qui aura toujours pour mission de fédérer les énergies des acteurs de l’écosystème startup local mais pour missions supplémentaires d’éclairer l’ensemble des acteurs de l’écosystème numérique (voire l’écosystème non numérique) sur ses différentes composantes, sans se limiter aux startups et leurs “partenaires”.
Enfin, un lieu “phare” pourra travailler sur l’attractivité de l’ensemble de l’écosystème numérique strasbourgeois.
Le livre blanc centré sur les startups répond à un besoin spécifique mais il reste symptomatique d’une certaine divergence dans la prise en compte des intérêts des startups d’une part et des acteurs non startup de l’écosystème numérique (ESN, agences web ou autres) d’autre part.
Cette divergence n’est évidemment pas propre à Strasbourg et le concept même de French Tech montre l’importance accordée à cette forme d’entreprise par les décideurs publics et les influenceurs. Il est d’ailleurs intéressant de ce point de vue de constater que le livre blanc déplore une méconnaissance de la culture startup chez les institutionnels, alors même que ces derniers y portent un intérêt.
Que dire de l’intérêt porté aux autres acteurs de la filière numérique ? Ceux-ci ne sont pas toujours bien représentés et manquent alors de visibilité auprès des décideurs. Le Syntec numérique Grand Est ou Rhénatic jouent bien ce rôle mais avec des moyens limités et sans représenter la totalité de la filière.
De fait, ces entreprises ne bénéficient pas ou plus de l’”aura” digitale dont profitent les startups : acteurs de la transformation numérique des entreprises non digitales depuis maintenant de nombreuses années, elles rejoignent désormais la catégorie des prestataires de services aux entreprises, qui soulèvent peu l’intérêt des décideurs locaux.
Pourtant, si les objectifs et préoccupations de ces acteurs sont différents de ceux de l’écosystème startup, trois points de “contact” qui devrait inciter à ne pas les négliger dans la réflexion sur la place du numérique à Strasbourg :
Sur ces différents points, un lieu « phare » servirait de repère naturel pour qui ne connaît pas les arcanes du digital strasbourgeois, pour qui s’interroge sur l’intérêt du numérique pour son projet (personnel ou professionnel).
Un tel lieu se doit d’être un forum ouvert et permanent. Un lieu de passage favorisant les échanges improbables où naissent parfois les innovations de demain ou les relations professionnelles fécondes.
Par ailleurs, si le livre blanc regrette à juste titre le manque de culture entrepreneuriale de certains cursus techniques ou même de cursus orientés business développement, il ne faut pas négliger le fait que l’écosystème startup est en grande partie porté par des profils techniques. Peut être faut-il un lieu plus “neutre” où les profils business/métier identifieront plus facilement des référents ?
Quant aux risques évoqués de manière récurrente de favoriser l’entre-soi des startuppers, il faut considérer un tel lieu non pas seulement comme un guichet unique où la startup trouvera tout ce dont elle a besoin mais comme un point d’entrée pour toute personne concernée ou intéressée par le secteur numérique à Strasbourg : formations, compétences disponibles, produits/services numériques, investisseurs, etc.
Ce point d’entrée reste donc compatible avec l’idée de quartier numérique, autre forme de répartition de l’écosystème numérique, à la condition que celui-ci dispose de la masse critique suffisante pour disposer d’un lieu phare incontournable, en plus de la multipolarisation.
Un tel lieu se doit d’être une construction collective pour asseoir sa visibilité auprès des acteurs locaux comme de l’extérieur. La Wild Code School est prête à s’investir dans l’aventure !
Des élèves de la Wild Code School Strasbourg