Il y a cinq ans, Caroline Ramade co-fonde 50inTech, une entreprise qui entend renforcer la parité et l’autonomie des femmes dans la tech. Pour cela, elle développe avec ses associés une solution RH baptisée GenderHire qui permet de sourcer des profils féminins en France et en Europe. En fonction du GenderScore de l’entreprise, 50inTech réalise ensuite un plan d’action pour aider les entreprises à recruter des talents féminins qualifiés. “J’ai créé 50inTech car une femme sur deux quitte la Tech après y avoir mis les pieds. Je voulais comprendre pourquoi. Et surtout, je voulais y remédier.”
Wild Code School : Ada Lovelace a inventé le premier ordinateur et Hedy Lamarr a quasiment inventé le Wi-Fi. Au-delà de ces deux exemples, lLes femmes ont eu une place prépondérante dans l’histoire du développement de l’informatique. Alors comment s’expliquent les disparités dans le secteur de la tech aujourd’hui ?
Caroline Ramade : Il faut d’abord distinguer les problématiques occidentales des autres pays, notamment en Orient et en Asie. Car l’Histoire de la Tech et de la programmation démarre certes avec Ada Lovelace, mais elle s’écrit surtout aux États-Unis et en Europe. Fort de cet héritage, avant les années 80, elles étaient 40% dans les computers sciences.
Puis les premières publicités Apple diffusées à la télévision ont mis exclusivement en avant des hommes utilisant les ordinateurs, pendant que les femmes étaient à la cuisine. Et, enfin, le jeu vidéo a créé la figure du geek masculin. La technologie est progressivement devenue une affaire d’homme. Et en moins de 20 ans, on passe à seulement 18% de femmes dans les computers sciences aux États-Unis et en Europe.
Mais cette tendance n’est pas la même au Maghreb et en Asie par exemple. Car il ne s’agit là que de la construction marketing et culturelle d’un stéréotype des femmes dans la Tech. Par exemple en Malaisie, le métier de développeur est particulièrement féminin puisqu'il ne demande pas de force physique et qu’il peut être pratiqué à la maison.
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WCS : 30% des salariés du secteur du numérique sont des femmes, selon les chiffres du gouvernement. Quels sont les leviers à mettre en place pour aider les entreprises du numérique à respecter la parité ? Les quotas, qui continuent de faire débat, sont-ils une bonne solution pour vous, par exemple ?
CR : Il faut distinguer le numérique des métiers proprement techniques. Car le numérique, dans son ensemble, regroupe aussi des fonctions support. Dans les rôles véritablement techniques, elles sont plutôt 17% environ.
Donc, pour mettre en place la parité, il faut d’abord bien connaître les chiffres par métier. Ensuite, je suis très favorable aux quotas et je les mettrais même en place dès l’école, et notamment pour les concours. Car, avec les quotas, il y aurait beaucoup plus de sensibilisation autour de la parité.
Mais, le véritable problème est qu’on ne projette pas suffisamment les femmes dans leurs plans de carrières. Un grand nombre de femmes avec qui je me suis entretenue m’ont révélé qu’au bout de trois ans dans une entreprise, elles ne savent toujours pas quel rôle elles vont jouer et comment leur carrière va évoluer.
Enfin, l’écart salarial non ajusté entre les hommes et les femmes est de 19% en Europe, là où la moyenne mondiale est de 13%, et on est à (15% en France). Non seulement les entreprises doivent résoudre ce problème, mais en plus elles doivent investir dans les formations pour se préparer aux prochaines pénuries de talents qui ne manqueront pas d’arriver dans les prochaines années.
WCS : En parlant de formation justement, la reconversion dans le numérique offre de nombreuses opportunités pour les femmes et, en même temps, représente un important vivier de talents cachés pour les entreprises. Pensez-vous que la reconversion professionnelle soit une (bonne) manière de féminiser le numérique ?
CR : Oui, mais il faut bien réfléchir à l’insertion professionnelle qui est le vrai sujet de la reconversion. Je trouve que les entreprises ne jouent pas assez le jeu des formations accélérées. Il faut parfois deux ou trois bootcamps de six mois à une femme pour trouver un travail. Alors qu’il en faudra parfois qu’un seul pour un homme.
Si j’étais en reconversion professionnelle aujourd’hui, je choisirais une ESN comme Zenika qui a une école interne pour continuer à me former sur le long terme. Puis, comme les entreprises seront de nouveau confrontées à des pénuries de talents dans la Tech, elles devront bien mettre en place ces systèmes d’écoles internes pour accompagner et former leurs talents. Ça deviendra un atout concurrentiel et donc un enjeu de rétention également.
WCS : Culturellement, l’informatique est encore largement liée à un univers masculin. Comment faire pour féminiser l’imaginaire collectif et donner envie aux femmes d’investir ce secteur ? Et est-ce que la reconversion peut être un moyen de donner envie aux femmes de rejoindre la tech ?
CR : La reconversion est un vrai levier. Mais elle peut intervenir encore plus tôt qu’on ne le pense, juste après un premier cycle universitaire par exemple.
Dans tous les cas, nous devons changer la manière dont on enseigne les mathématiques et les sciences en France. Ma fille de 13 ans veut déjà monter sa startup, et je l’ai inscrite au programme gratuit StartupForKids. C’est un excellent tremplin pour faire rêver les femmes.
Ce que je veux dire, c’est que la méthode projet est hyper importante, et elle doit être mise en place dès le lycée, voire le collège. On devrait pouvoir choisir ses projets à l’école, et démystifier les jobs. Parce que le développement web, ce n’est pas juste être assis derrière un écran sans parler à personne.
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